Combattre la rage, transformer des vies : Entretien avec Deb de Dharamsala Animal Rescue

Introduction
Située dans l’Himachal Pradesh, en Inde, l’organisation Dharamsala Animal Rescue (DAR) œuvre sans relâche pour rendre le monde plus sûr, tant pour les chiens que pour les humains. En tant que Centre d’excellence contre la rage, son action va bien au-delà du sauvetage et de la réhabilitation : elle veille à vacciner et stériliser les chiens, à éduquer les communautés, et à déconstruire les idées préconçues.
Kerenza, de GARC, s’est entretenue avec Deb Jarrett, fondatrice de Dharamsala Animal Rescue, pour revenir sur les débuts de l’organisation, les défis rencontrés en chemin, et le rôle de l’éducation dans le transformation de la relation entre les communautés et les chiens, un enfant à la fois.

Kerenza: Qu'est-ce qui vous a amenée en Inde et comment l’organisation Dharamsala Animal Rescue a-t-elle vu le jour?
Deb: Tout a commencé en 2008, lorsque je suis partie en Inde comme bénévole. J’avais été affectée à une école maternelle, mais ce qui m’a le plus marquée, c’était ce qu’il se passait à l’extérieur de l’école. Les rues étaient remplies de chiens errants. Beaucoup étaient malades, blessés, atteints de la gale. Les passants les ignoraient, certains leur jetaient même des pierres. Un chien en particulier a attiré mon attention : un chien galeux qui rôdait autour de l’école. Quand j’ai demandé s’il était possible de faire quelque chose pour lui, on m’a simplement répondu par un haussement d’épaules. Peu de temps après, j’ai rencontré un spécialiste local de sauvetage animalier. Je suis partie quelques jours hors de la ville, et à mon retour, j’ai eu une surprise incroyable : un jeune homme est venu vers moi en courant, tout excité, pour m’annoncer que “Tommy” — c’est comme ça qu’on l’avait surnommé — allait mieux. Sa famille avait commencé à le nourrir et à lui donner des médicaments. C’est à ce moment-là que j’ai compris : ce n’est pas que les gens ne se souciaient pas des chiens, c’est qu’ils manquaient d’informations, de moyens, de soutien. Et c’est de cette prise de conscience qu’est née Dharamsala Animal Rescue.
Kerenza: La rage est un problème majeur en Inde. Comment votre travail s'est-il étendu à la prévention de la rage?
Deb: À mon arrivée, je n'avais pas encore pleinement saisi l'ampleur du problème. Mais peu après mon départ de Dharamsala, j’ai appris que trois personnes – dont une fillette de quatre ans – étaient mortes de la rage. Ce fut un véritable choc. C’est à ce moment-là que j’ai compris : la peur des chiens était en réalité une peur de la rage. Les jets de pierres, l’agressivité… tout cela venait souvent d’une tentative désespérée d’éviter les morsures. Pourtant, s’en prendre aux chiens ne fait qu’empirer les choses.
Dès le départ, nous savions que la vaccination devait être au cœur de notre réponse. Nous avons commencé à vacciner les chiens errants en parallèle des campagnes de stérilisation. Et peu à peu, nous avons élargi nos actions éducatives, pour aider les communautés à comprendre que ce ne sont pas les pierres qui arrêtent la rage, mais la prévention, la vaccination, et des interactions responsables avec les chiens.

Kerenza: Quels sont les plus grands défis auxquels vous êtes confrontés en matière de contrôle de la rage et d'éducation communautaire?
Deb: L'un des principaux défis réside dans la démystification des fausses idées véhiculées autour de la rage. Dans les zones rurales, les croyances et les traditions influencent souvent la réaction des gens aux morsures de chien. Par exemple, certaines personnes préfèrent consulter un prêtre de village plutôt qu’un médecin, convaincues que l’eau bénite peut guérir la rage. Un responsable de la santé publique nous a même confié que de nombreuses victimes de morsures ne suivent que la première dose du vaccin antirabique, puis interrompent le traitement sur les conseils de leur entourage, en faveur de pratiques traditionnelles. Tragiquement, ces cas ne sont souvent pas signalés : les victimes sont parfois incinérées avant qu’un diagnostic officiel puisse être établi. À travers nos programmes d’éducation, nous œuvrons pour faire évoluer ces mentalités, une communauté à la fois. Un autre défi, plus structurel, réside dans les aspects opérationnels du quotidien : s’adapter à une réglementation en constante évolution, ou encore recruter des personnes bienveillantes, fiables et formées pour assurer les soins et les interventions sur le terrain.

Kerenza: Cela nous amène à l’histoire de cette petite fille de l’école qui s’est sentie très émue lors d’une de vos séances d’éducation. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé et pourquoi c’était si important?
Deb: C'était un moment particulièrement émouvant. Lors d’une de nos sessions d’éducation auprès des écoliers sur la manière d’interagir avec les chiens dans la rue avec bienveillance tout en restant en sécurité, une petite fille s’est mise à pleurer. Nous ne comprenions pas tout de suite ce qui la bouleversait, jusqu’à ce qu’elle nous confie qu’une chienne que sa famille nourrissait avait récemment mis bas… mais que tous les chiots étaient morts. Elle gardait ce chagrin pour elle depuis plusieurs jours. Ce jour-là, elle s’est sentie écoutée, entourée d’adultes capables de comprendre sa peine sans la minimiser. Ce moment nous a rappelé à quel point les enfants sont profondément sensibles à la souffrance animale, mais manquent souvent d’outils ou d’espaces pour exprimer ce qu’ils ressentent. C’est ce type d’expérience qui renforce notre conviction : l’éducation ne se limite pas à la prévention de la rage, elle transmet aussi des valeurs de compassion et encourage les enfants à devenir des acteurs du bien-être animal.
Kerenza: La collaboration est essentielle dans la lutte contre la rage. Nous avons appris que l’organisation Manali Strays a été créée par des membres de la DAR, et que tous deux sont aujourd’hui des Centres d’excellence contre la rage. Comment ce partenariat renforce-t-il vos actions?
Deb: Le lien entre DAR et Manali Strays illustre parfaitement la force de la collaboration. Les fondateurs de Manali Strays ont perçu un besoin urgent à Manali concernant le contrôle de la rage et la gestion éthique des chiens errants. Plutôt que de centraliser les efforts, ils ont choisi de créer une nouvelle entité, tout en restant proches de notre vision. Cette expansion stratégique a permis d’optimiser les ressources et de démultiplier l’impact. Aujourd’hui, en tant que Centres d’excellence contre la rage, nos deux organisations travaillent main dans la main, partageant expertises, données et bonnes pratiques. Cela nous permet de couvrir un territoire plus vaste avec des actions cohérentes, coordonnées, et durables. Ensemble, nous offrons à davantage de communautés une chance de vivre en harmonie avec les chiens, sans crainte de la rage.
Réflexions finales
De la vaccination de milliers de chiens à la démystification des idées reçues, Dharamsala Animal Rescue prouve que la lutte contre la rage ne se résume pas à un acte médical. Il s’agit avant tout de changer les mentalités. En tant que Centre d’excellence contre la rage, la DAR s’engage pour un avenir où humains et chiens vivent ensemble en harmonie, dans un esprit de respect mutuel.
Pour en savoir plus ou soutenir la mission de l’organisation, rendez-vous sur Dharamsala Animal Rescue. Pour en savoir plus sur les CÉR, consultez EndRabiesNow, une initiative de la GARC.