Modéliser aide à comprendre comment la rage se transmet.

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Des campagnes de vaccination dans la ville entière de N'Djamena, capitale du Tchad, et un modèle déterministe basé sur des données épidémiologiques ont montré qu'il est possible d'éliminer la rage en Afrique. Ce travail de recherche a été publié en décembre dans Science Translational Medicine.

La vaccination des chiens a été faite d'octobre à décembre en 2012 et en 2013. Pendant ces deux campagnes, près de 20000 chiens ont été vaccinés, ce qui représente environ 70% de la population canine de N'Djamena. Avant la campagne, la rage sévissait à N'Djamena avec 4 cas par mois en moyenne, soit une incidence annuelle de 0.7/1000 chiens. Après les campagnes, aucun cas de rage n'a été observé dans la ville pendant plus de 9 mois (de janvier à octobre 2014).

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Vaccination au Tchad. Photo: Swiss TPH

Le modèle de transmission suggère que les conditions de persistance du virus rabique dans la population de chiens de N'Djamena n'étaient plus maintenues et que l'interruption de la transmission du virus de chien à chien s'est produite de début 2013 à novembre 2014. Le modèle a aussi montré que le renouvellement de la population par la naissance de chiens sensibles a plus fortement contribué à la baisse d'immunité de la population que la diminution de l'immunité individuelle des chiens.

Une analyse phylogénétique du virus a aussi été conduite, elle est en accord avec le modèle de transmission en ce que le nombre moyen de nouvelles infections dues à un chien enragé était tombé en dessous de 1.

Les nouveaux cas de rage observés dans la cité à partir d'octobre 2014 sont très probablement dus à une réintroduction, plutôt qu'à une persistance locale depuis 2013. Les virus des cas de rage postérieurs à 2014 étaient phylogénétiquement différents de ceux qui circulaient dans N'Djamena avant la vaccination. Ils avaient très probablement été importés des zones péri-urbaines ou rurales voisines de la zone vaccinée.

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Des enfants rapportent leur chien vacciné à la maison. Photo: Swiss TPH

Ces découvertes soulignent que le contrôle de la rage dans les villes africaines devrait être planifié sur de plus grandes surfaces, comprenant les zones suburbaines et rurales, et être coordonné au niveau régional avec les pays voisins pour arriver à une élimination durable de la maladie. La création récente du Réseau Panafricain de Contrôle de la Rage (PARACON) est, par conséquent, une première étape importante vers l'élimination en Afrique de la rage transmise par les chiens en 2030.

La population de chiens est répartie de manière très hétérogène à N'Djamena et la couverture vaccinale était très variable d'un district à l'autre. Cela montre que l'organisation des campagnes de vaccination doit être adaptée aux conditions locales si on veut atteindre une couverture vaccinale suffisante. L'étude montre aussi le besoin d'améliorer et de renforcer la surveillance de la rage dans les zones rurales plus éloignées pour avoir une vision globale complète de la rage qui peut ensuite guider les décisions de vaccination.

Comme d'autres études l'ont déjà montré, l'exemple de N'Djamena montre que la somme d'argent investi par vie humaine sauvée est plus faible lorsque la vaccination des chiens est associée aux PEP (prophylaxie post exposition) que lorsqu'il n'y a que les PEP. Le coût de le vaccination d'un chien pendant la campagne  était d'environ 5 US$. À partir du coût et des résultats obtenus à N'Djamena et d'un suivi démographique mené en 2014, le budget d'une campagne nationale de vaccination des chiens au Tchad est évalué entre 2 500 000 et 3 000 000 €. Le fait que cet investissement amène aussi une réduction du nombre de doses de vaccin utilisé pour les PEP et par conséquent à une économie pour la santé publique, dépend très fortement de la qualité de la collaboration entre les secteurs en charge de la santé publique et de la santé animale. En tout état de cause, la vaccination des chiens est la meilleure solution du point de vue économique pour un contrôle à long terme de la rage animale et la prévention de la rage humaine.

En conclusion, la vaccination de masse des chiens associée aux PEP suffirait à arrêter la transmission de la rage dans une ville en Afrique, à la fois chez le chien et chez l'homme, à partir du moment où la vaccination couvrirait une surface suffisante avec un contrôle du mouvement des chiens.

Contribution du Dr Monique Lechenne de l'Institut Suisse de Santé Publique Tropicale (Swiss TPH). Les campagnes de vaccination et les activités de recherche ont été menées en étroite collaboration entre Swiss TPH, leur ONG partenaire locale (le Centre de Support en Santé International, CSSI) et le laboratoire vétérinaire d'état (l'Institut de Recherche en Elevage pour le Développement, IRED). L'Institut Pasteur de Paris et l'Institut Suisse de Bioinformatique de Lausanne ont été étroitement impliqués dans l'analyse des souches de virus rabique. En plus de l'article sur la modélisation, d'autres articles peuvent être trouvés ici, ici et .

Traduit par Jacques Barrat, ANSES-Laboratoire de la rage et de la faune sauvage de Nancy, France